Oh my god : la cuisine britannique en passe de détrôner la française ?
Elsa Ferreira
Jell-O à la menthe (Pure.sugar/Flickr/CC)
Oubliez le bœuf bouilli à la sauce menthe, le fish’n’chips dégoulinant ou la « jelly » qui bloblote. La Grande-Bretagne se distingue désormais par la qualité de sa cuisine. Dernière preuve : le Concours national des fromagers, organisé en marge du Bocuse d’or à Lyon ce week-end.
Le lauréat ? Matthew Feroze (ou plutôt Mathieu, le prénom a été francisé sur la page du concours), un comptable anglais reconverti il y a peu dans la fromagerie. Pour décrocher le prix, le Britannique n’a pas hésité à mélanger des fromages français avec deux spécialités nationales : le cheddar et le Stilton.
Didier Lassagne, fromager à Lyon et Meilleur ouvrier de France, confirme à Rue89 le choix du lauréat :
« Les Britanniques ont fait de gros progrès sur la fabrication artisanale. Après avoir été au creux de la vague, ils s’approchent du top. Lorsque je propose du fromage anglais à des clients, il y a un peu de retenue. Mais après avoir gouté, ils y reviennent toujours avec plaisir. »
Auprès des « connaisseurs », dit-il, le fromage anglais plaît, comme le constate aussi une enquête de Guardian.
Du bœuf made in UK
Après ses années folles, le bœuf anglais se refait aussi une réputation. Le « meilleur boucher de Paris», Yves-Marie Le Bourdonnec, y est pour beaucoup. L’an dernier, il a publié « L’Effet bœuf », dans lequel il soutient que les Français gagneraient à s’inspirer des pratiques anglaises – un bouquin qui lui vaudra d’être radié de la Fédération de la boucherie, cette institution « archaïque et arc-boutée sur ses certitudes, restée dans les années 1970 », râle-t-il.
Pour le boucher, les vaches françaises ne sont plus adaptées au modèle économique. Choisies pour leur masse musculaire, elles sont naturellement peu grasses et donne une viande « collagèneuse » – c’est-à-dire avec des nerfs et des membranes. Pour y remédier, les éleveurs gavent les vaches de céréales, chères et gourmandes en eau.
« Produire de la viande de bonne qualité en France, c’est possible. Mais ça coûte cher et c’est un faux prix, possible uniquement grâce aux subventions. Aujourd’hui – je le dis, je le signe – les Anglais font la meilleure viande du monde. »
« Meilleure gastronomie au monde »
Il n’y a pas que le fromage et le bœuf : la nourriture britannique débarque en masse. Les exportations de la Grande-Bretagne à destination de la France ont même doublé depuis 2000, représentant aujourd’hui plus de 2,5 milliards d’euros, selon la BBC ; une somme qui reste quand même loin derrière les 4,7 milliards du flux inverse.
Difficile à avaler pour des Français un brin chauvins, et dont les présidents ont tour à tour déclaré :
- qu’on ne pouvait « pas faire confiance à des gens dont la nourriture est aussi mauvaise » (Jacques Chirac) ;
- que la France avait « la meilleure gastronomie au monde », et qu’elle devrait, par conséquent, être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco (Nicolas Sarkozy ; une requête accordée en novembre 2010, non sans moquerie) ;
- plus tempéré, François Fillon confiait au Times que la cuisine anglaise était « bien meilleure que ce que les gens disent », et qu’il avait tenté d’en convaincre l’ancien président, lors de « disputes animées ».
Des chefs britanniques primés
Il ne s’agit pas que de produits. La culture gastronomique se développe, les Britanniques cuisinent de plus en plus – ils passeraient même plus de temps dans leur cuisine que les Français, selon une étude réalisée pour Madame Figaro et le magazine gastronomique de la BBC, « Olive » – et les restos se multiplient.Dans le classement des meilleurs restos du monde, les chefs français sont désormais devancés par un de leurs homologues installé dans le quartier londonien de Hyde Park : le restaurant Dinner de Heston Blumenthal – ancien chef du Fat Duck, resto lauréat du palmarès 2005 – est arrivé neuvième en 2012.
Il faut attendre la douzième place pour qu’un « frenchy » apparaisse dans le classement, avec l’Atelier Saint-Germain de Joël Robuchon (les deux restos suivants sont, encore, britanniques).
C’est ce même chef – détenteur du record du monde d’étoiles au guide Michelin, 28 – qui avait déclaré que la capitale gastronomique du monde était désormais Londres. Le chef, qui y possède trois restaurants, dont un doublement étoilé, s’était expliqué au quotidien gratuit londonien, l’Evening Standard :
« Il n’y a qu’à Londres que vous trouverez tous les styles de cuisine imaginables. Quand on parle de nouveautés en cuisine, de cuisine innovante, tout se passe à Londres. »